Ma chronique de "Views", le dernier Drake

Le Lun 02 mai 2016

Drake views

 

Initialement nommé Views from the 6, c'est finalement sous la simple appellation « Views » que le projet tant attendu de Drake a vu le jour le vendredi 29 avril sur Apple Music. Annoncé imminent depuis plusieurs mois, ce n'est que le 10 avril que la date de sortie a été officiellement vérouillée. L'oeuvre est donc bien terminée et Drake a encore fait les choses en grand...

Le tout démarre avec Keep The Family Close. Un thème pas choisit au hasard. Si Drake s'est forgé une image d'ami des stars ces dernières années, les personnes gravitant réellement autour de lui et son empire musical sont bel et bien ses amis d'enfances, des membres de sa famille ou des artistes avec qui il travaille depuis le début de sa carrière comme le DJ Future The Prince ou le producteur Noah "40" Shebib, ce dernier encore une fois omniprésent sur ce projet. Comme il le chantait si bien au côté de son mentor Lil' Wayne : No New Friends. Sur un air digne d'une grande symphonie, Drizzy se donne des airs de crooner et chante ses déceptions amicales et son désir de loyauté.

La loyauté. Un terme qui refait surface sur U With Me où il se questionne sur la fidélité d'une relation bien précise dans laquelle ses doutes prennent le dessus. Le Drake sentimental prend encore les auditeurs à contre-pied en se mettant dans la position de la possible victime de l'adultère là où la majorité de ses collègues auraient tendance à nous présenter le problème dans l'autre sens. Tout ça en faisant résonner la voix de DMX aboyant "What these bitches want from a nigga?!" et reprenant une partie du refrain du rappeur new-yorkais issu du morceau How's It Going Down(que vous pouvez actuellement retrouver en écoute sur Self Culture) issu du mythique album « It's Dark And Hell Is Hot ». Entre ces deux morceaux se glisse 9 pour un nouvel hommage à Toronto. Ce début d'album tout en légèreté se termine par Feel No Ways, co-produit par Kanye West. Ce morceau captivant aux rythmiques électro n'est pas sans rappeler l'atmosphère du désormais célèbre Hold On We're Going Home. One Dance (et ses invités Wizkid & Kyla), qui fera son apparition plus tard dans l'opus est également dans le même esprit avec ses sonorités house music.

C'est alors que l'auditeur entre dans une tout autre vibe avec les premières notes de Hype. Le Drake smooth laisse place au Drake cassant "I feed my family with this / So don't play with my money this summer / I'm serious". Ce morceau est un héritier des pièces du genre 10 bands, Worst Behavior ou 6 God et le canadien s'affirme de plus en plus comme le digne successeur de Jay-Z dans cette attitude de rappeur intouchable attisant la haine mais capable de décrédibiliser ses ennemis et gérer naturellement ses ennuis avec une nonchalance déconcertante. En parlant de Jigga, sa présence et celle de Kanye sur le morceau Pop Style qui avait été dévoilé au début du mois d'avril n'est pas maintenue puisque Drake évolue cette fois seul sur l'instru et en profite pour s'en prendre à son ennemi préféré : Meek Mill. Dans le genre banger aux paroles fanfaronnes et qui feront "dabber" du monde dans les clubs, Still Here est aussi au programme. Tout comme Grammys en featuring avec Future et dans la droite lignée de leur projet en commun « What A Time To Be Alive ». Ça plaira sans doute aux amateurs du duo. Drake/Future une recette connu de tous, tout comme celle où le deuxième ingrédient s'appelle Partynextdoor, son meilleur soldat. C'est sur le titre With You. Un bon morceau mais loin de la qualité de leurs précédentes collaborations tel que l'incroyable Recognize, l'inlassable Over Here et plus récemment Come And See Me. Sur la tracklist, With You fait suite à Redemption. Deux titres similaires où le sujet principale est une histoire d'amour et où le 6 God sort son meilleur costume de "singer". Ceux qui préférent sa facette de rappeur auront forcément du mal à accrocher à cette partie de l'album ou encore au morceau Fire & Desire, même si ce dernier reste un ton au-dessus des deux précédents et d'une efficacité évidente.

Au milieu de tout ça, se cache Weston Road Flows. Un excellent titre porté par un sample de Mary J. Blige parfaitement traité par "40". Entre story-telling et nostalgie, Aubrey Graham se replonge dans sa jeunesse modeste où le manque d'argent n'avait d'égal que l'ambition. Le sujet des amitiés solides d'un côté et fragiles de l'autre refait également surface. Pas de refrain, une simple lettre ouverte où l'artiste laisse place à l'homme et se livre sur encore bien d'autres sujets. Une réussite totale. Sur Faithful, on retiendra l'hommage au Sud et à sa défunte icône Pimp C dont le couplet posthume ouvre le morceau. Puis, dans la même veine que Hotline Bling (le tube planétaire qui apparaît en tant que morceau bonus), il y a Controlla. Aux accents carribéens, la piste est ensoleillée et entraînante. Un hit en puissance !

Au niveau des producteurs, une partie du gratin a son mot à dire et le hitmaker du moment, Metro Boomin est bien sûr présent au casting du morceau Child's Play où une relation est encore le sujet principale. L'interlude Summer's Over est sublimement interprété par la moitié de Majid Jordan, le chanteur Majid Al Maskati mais Drake n'y fait pas irruption. Terminons avec Too Good et Views. Le premier est délivré en compagnie de Rihanna mais comme pour le titre avec Partynextdoor, ces deux-là nous ont déjà habitué à mieux et Work était autrement plus puissant et impactant. La combinaison n'est pas vraiment à la hauteur de ce qu'on l'on pouvait imaginer. Pour ce qui est du titre éponyme, Views, le résultat est tout autre. La prod de Mannesh Bidaye et son soul spirit rappelle les plus belles années de Just Blaze et Drake se ballade dessus. Slow Flow au point et réglements de comptes cachés derrière quelques rimes cinglantes : "Fuck bein' all buddy buddy with the opposition / It's like the front of the plane, nigga it's all business". Drake a souvent déclaré que The Black Album de Jay-Z était son album de rap préféré, et bien ce titre est typiquement le genre de morceau qu'on aurait pu entendre dessus ou sur The Blueprint de par sa direction musicale et la manière dont il est écrit. Une parfaite manière de clore un album de ce standing.

 

Drake est monté tellement haut ces dernières années qu'il était presque inimaginable de le voir gravir encore un étage avec Views. A vrai dire, comme l'illustre la cover de l'album il est déjà sur le toit d'un building et cette image signifie peut-être inconsciemment qu'il a atteint l'apogée de sa créativité artistique. L'album est une réussite dans son ensemble mais ne surpasse pas son prédecesseur « Nothing Was The Same » et souffre de quelques défauts. Le manque de diversité des discours se fait parfois sentir avec l'axe d'une relation homme/femme qui revient très souvent, même si on peut y deviner une des lignes directrices de l'album. Drizzy délaisse plus que jamais le rap pour le chant et son âme de "R'n'B singer" le pousse de plus en plus à s'adresser à la gente féminine, une chose qu'il a bien sûr toujours faite mais qui semble poussée à son paroxysme sur ce projet. Une légère évolution qui peut quelque peu exclure une partie de son public masculin de la première heure. On peut également regretter l'impact de certains featuring comme les connexions avec Future, Partynextdoor et Rihanna qui donnent l'impression de conduire à des répliques des recettes des anciens titres avec ces mêmes artistes mais en moins bien. Malgré tout, Drake ne s'est pas foutu du monde. Le disque est consistant, extrêment bien travaillé et possède beaucoup de matières, peut-être trop si on en juge que quelques titres ne sont pas indispensables. Mais l'essentiel est là : Drake a toujours ses forces premières. Son sens de l'interprétation assez unique, sa nonchalance addictive et son petit déficit de virilité qui en fait finalement le plus humain de tous les rappeurs. Il aime se dévoiler et on prend plaisir à l'écouter. Et par-dessus tout il reste la définition d'un artiste. Il fait ce qu'il veut, comme il le veut et quand il le veut. Sa richesse musicale peut le pousser à s'ouvrir à énormément de styles musicaux sans jamais passer pour un "forceur". La touche planante made in Toronto qu'il a rendu célèbre grâce notamment à l'ingéniosité de Noah "40" Shebib n'est jamais trop loin et donne toujours une homogénéité sincère à l'ensemble du projet. Son charisme au micro fait le reste.

Le Top 5 : Weston Road Flows / Views / Feel No Ways / Fire & Desire / Hype

Ma note : 15/20

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